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RCF Lutte anti-gaspi : le cri d'alerte des épiceries sociales face à la baisse des dons

Lutte anti-gaspi : le cri d'alerte des épiceries sociales face à la baisse des dons

Un article rédigé par Anaïs Sorce - RCF Lyon, le 22 avril 2024  -  Modifié le 23 avril 2024
Tempo · Le podcast d'actualité de RCF Lyon L’aide alimentaire, victime collatérale de la lutte anti gaspi

Depuis 2019, la grande distribution est contrainte de réemployer ses invendus alimentaires pour limiter le gaspillage. C’est une des applications de la loi dite « Egalim », issue des États généraux de l’alimentation lancés en 2017. En conséquence, le déploiement de rayons anti-gaspi s’accélère dans les grandes surfaces, proposant des produits à date courte à moindre prix. C’est aussi le développement rapide d'enseignes spécialisées en déstockage. Mais, cinq ans après, les effets pervers de cette loi se ressentent sur les associations d’aide alimentaire.

L'épicerie sociale et solidaire Epicentre à Lyon est placée en redressement judiciaire - © RCF Lyon (Anaïs Sorce) L'épicerie sociale et solidaire Epicentre à Lyon est placée en redressement judiciaire - © RCF Lyon (Anaïs Sorce)

Le gâteau d'anniversaire risque d'avoir un goût amer pour l'épicerie sociale et solidaire Epicentre. Alors que le magasin du 8e arrondissement de Lyon fête ses dix ans en 2024, l'association a été placée en redressement judiciaire et doit trouver 15 000 € avant la fin du mois d'avril 2024. Sans cela, elle devra fermer ses portes et laisser ses bénéficiaires trouver une alternative pour se nourrir correctement. « La cause est multifactorielle », reconnaît Augustin Michoud, le coordinateur de l'épicerie.

L'inflation a gonflé les charges de l'association et conduit davantage de ménages à se tourner vers l'aide alimentaire. Mais la baisse du mécénat, malgré un maintien des subventions, a infléchi l'équilibre d'Epicentre qui se retrouve en grande difficulté financière. Parmi ces charges, l'une prend de plus en plus d'ampleur au fil des années : l'achat de denrées. En effet, Epicentre se fournit directement auprès des producteurs mais aussi de structures comme la Banque Alimentaire ou l’association Revivre. Or, « la qualité et la quantité de dons alimentaires baissent. On nous donne des produits avec des dates de péremption beaucoup plus courtes, ce sont les rebuts des grandes surfaces, ce que les gens ne veulent pas acheter, ce qui n'était pas le cas avant. On avait aussi beaucoup plus de fruits et légumes. Aujourd'hui, ils arrivent parfois presque pourris, ce n'est pas digne pour les bénéficiaires », déplore Augustin Michoud.

« Les grandes surfaces ne jouent pas le jeu » du don aux associations d'aide alimentaire

Si les étagères sont bien achalandées en produits de qualité, les frigos, eux, sont presque vides, quatre jours après la livraison de la Banque Alimentaire. Et la situation est récurrente : « on n'a plus beaucoup de frais et on n'a plus de viande », note le responsable de la boutique qui propose des produits de qualité et zéro déchet issus du commerce équitable. Pour compenser les approvisionnements irréguliers, « on est obligés de passer par des produits subventionnés, et c'est là où on va acheter des produits essentiels, comme l'huile ou la farine, en grande quantité pour être sûr d'en avoir à distribuer tous les jours. On est aussi obligés de mettre des limites par rapport à la composition du foyer », détaille le jeune homme, recruté il y a cinq mois en connaissance de la situation économique compliquée. Pour lui, « les grandes surfaces ne jouent pas le jeu » et il n'est pas le seul à le penser. Car la situation se détériore pour tous les acteurs de l'aide alimentaire. 

À Vaulx-en-Velin, Oasis d'Amour achète depuis des mois des produits frais pour compenser les baisses lors des ramasses qu'elle effectue auprès des grandes surfaces. Et cela plombe le budget de l'association, habituée aux dons. La Croix-Rouge du Rhône pointe un double phénomène : une baisse des dons au niveau des ramasses effectuées par leurs soins en matinée de 35 à 40 % et une hausse de 15 à 20 % des demandes d’aide.

« Sans défiscalisation, on ne récupèrerait rien » des grandes surfaces

Si les principaux acteurs de l'aide alimentaire peuvent tenter de compenser ces pertes sur leurs fonds propres, c'est beaucoup plus difficilement tenable pour les petites structures. Résultat : plusieurs d'entre elles ont déjà dû fermer leurs portes. « Sur mes 250 partenaires, 5 ou 6 épiceries sociales ont déjà fermé à cause de ça », assure Sébastien Ribeaucourt, chef d’établissement de Revivre Auvergne Rhône Alpes, plateforme logistique au service des structures sociales d’aide alimentaire.

« On est un peu une centrale d'achat pour tous les acteurs de l'aide alimentaire. On vient en complément de la Banque Alimentaire », explique-t-il. Mais face à la baisse des dons, « pour la première fois cette année, des banques alimentaires sont venues acheter chez nous car tous les produits qui n'étaient pas vendus jusqu'à présent le sont maintenant jusqu'au dernier jour », s'insurge Sébastien Ribeaucourt. 

Pourtant, la grande distribution est incitée financièrement à donner ses invendus aux acteurs de l'économie solidaire. En effet, la loi prévoit que les supermarchés puissent défiscaliser 60 % de la valeur des produits donnés, dans la limite de 20 000 euros par an ou de 0,5 % du chiffre d'affaires. D'ailleurs, pour Sébastien Ribeaucourt, « quand les enseignes font de la distribution, c'est uniquement pour défiscaliser. Elles le font rarement pour le plaisir, si elles donnent, c'est qu'elles ont mal vendu. Sans défiscalisation, on ne récupérerait rien. Sur une vingtaine de donateurs, seuls deux ne demandent pas de reçu fiscal ».

Un système d'aide alimentaire à bout de souffle

La grande distribution est, elle, peut loquace sur ce sujet. Seule Biocoop a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet. Elle fournit une partie du vrac à l'épicerie Epicentre et de l'aveu même d'Augustin Michoud, ce n'est pas l'enseigne la plus en tort. C’est aussi ce qu’en pense Dalila Habbas, directrice générale du Fonds de dotation Biocoop, qui affirme en avant-propos que « avant même la loi sur le gaspillage alimentaire, l'enseigne Biocoop n'en faisait pas ». Partant de ce postulat, la marque a choisi de décorréler la lutte contre la précarité alimentaire de celle contre le gaspillage alimentaire en créant une nouvelle dynamique de solidarité. Biocoop a donc lancé des programmes pour mettre à disposition des épiceries sociales et solidaires des meubles vrac qu'elle approvisionne. Les épiceries sont accompagnées dans la gestion du vrac par les équipes des magasins Biocoop pour permettre « une montée en compétences des équipes des épiceries ». Sensibilisation à l'alimentation bio, ateliers de cuisine... le projet de Biocoop est transversal : « C'est de passer de la récupération de produits à une alimentation choisie », assure Dalila Habbas.

Le peu de surplus de produits que les magasins peuvent avoir serait malgré tout donné aux structures d'aide alimentaire, « mais sur des petits volumes et pas sur les volumes extrêmement importants qu'on a pu retrouver dans d'autres enseignes ».

Tous les acteurs rencontrés reconnaissent un système d'aide alimentaire à bout de souffle, qui nécessite d'être repensé. Plusieurs évoquent une sécurité sociale de l'alimentation, réflexion portée en France par différents acteurs depuis 2017 pour la création de nouveaux droits sociaux visant à assurer un droit à l'alimentation, des droits aux producteurs d'alimentation et la protection de l'environnement.


L'épicerie sociale et solidaire Epicentre doit trouver 15 000€ avant la fin du mois d'avril 2024. Pour soutenir ce magasin de proximité et lui permettre de poursuivre son activité auprès des plus démunis, vous pouvez faire un don sur leur campagne en ligne sécurisée

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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