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La question des parents : savez-vous parler "ado" ?

La question des parents : savez-vous parler "ado" ?

Un article rédigé par Vincent Belotti - RCF, le 6 décembre 2023  -  Modifié le 7 décembre 2023
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"Avoir le seum, askip, je suis rapta, bader", sans oublier le (déjà) démodé "quoicoubeh". Le langage ado, c'est parfois du chinois ! Mais d'où viennent ces expressions et pourquoi sont-elles autant utilisées chez les jeunes ? Décryptage de Cyril Trimaille, sociolinguiste à l'université Grenoble-Alpes et chercheur au Lidilem, Laboratoire de recherche en linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles.

©Image de Freepik ©Image de Freepik

Le "parler jeune", pas vraiment une nouveauté ! "Que ce soit à travers romans ou films, comme "La guerre des boutons", la société adolescente a toujours cherché à se particulariser", rappelle Cyril Trimaille. Ce qui a amplifié le phénomène, c’est l’arrivée des réseaux sociaux "véritable caisse de résonnance". De même que le hip-hop et le rap, avec des stars du genre, comme Booba ou la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura, pas avare de "le monde est tepit, en catchana baby" ou autres "c’est dead" !

Mais comment naissent ces expressions ? Les influences sont multiples : emprunts à d’autres langues, comme l’algérien "wesh", équivalent de "hein ?!", la phonétique SMS, de "MDR" à "Lol" jusqu'à "OKLM" pour dire "au calme". Autres sources, plus anciennes : le verlan ou langage "à l'envers", déjà utilisé au XIXe siècle, et qui a ramené son cortège de "ouf, meuf, teuf" ou "keuf", popularisé dans "La haine", le film de Matthieu Kassovitz sorti en 1995. Seconde jeunesse également pour des mots plus anciens, "lascar", "bouffon" ou "daron", qui, déjà en 1680, désignait "le maître de maison" : aujourd’hui, c'est "le père" et sa daronne "la mère". Enfin, on n’oubliera pas les métaphores imagées, "je suis choqué" ou "je suis en PLS" pour exprimer sa surprise ou sa détresse. En bref, "une forme d’histoire et de continuité de ce qu’on pourrait appeler le parler populaire", résume le sociolinguiste.

 

À chacun son langage

Mais pourquoi les jeunes "kiffent-ils" autant ce langage ? "D'abord, pour s’identifier : l’adolescence est un moment de socialisation, avec ce besoin d’appartenir à un groupe, de ne pas être exclu et de s’intégrer", souligne le chercheur. Une façon de se détacher des parents, mais surtout de se distancer de l’enfance et de montrer qu’on a passé un cap supérieur.

Mais attention : chacun son langage ! Un adulte qui parlerait comme un ado, "ça fait bizarre", estime Lucie, 14 ans. "Ils ont pas l'âge !" renchérit Akim. "Les enfants ont besoin d’un espace à eux", estime pour sa part Isabelle, mère de trois ados. "Il ne faut donc pas être intrusif et de toute façon, les parents ne sont pas des copains !" Rien n’empêche pourtant "d’ouvrir le dialogue à la maison sur la signification de ces expressions", suggère Cyril Trimaille. À condition que l’enfant ne soit pas gêné de les exprimer dans un cadre familial... !

 

Splendeur et misère du "quoicoubeh" 

Aussi vite prononcé, aussi vite démodé ! Ces expressions ont parfois la vie courte. "Ce qui fait le succès d’un mot, c’est sa rareté, son pouvoir de différenciation", explique le sociolinguiste. Trop largement diffusé, il perd donc de son intérêt. Le fameux "quoicoubeh" en a fait les frais. Issue d’une expression africaine, le "beh" est une réplique lancée à quelqu’un qui a dit "quoi", un peu comme le jeu "quoi-feur" , soit "coiffeur" dans les années 80. Succès immédiat : un milliard de vues sur le réseau Tik Tok l’an dernier, avant d’en avoir "balek", soit plus rien à faire… et de tomber dans les oubliettes des cours de récré !

 

Pas de guerre des langues !

Langage imagé, le parler jeune n’est pas exempt de critiques. Jugé parfois vulgaire, mais surtout coupable d’appauvrir la langue française "classique" à grands coups de "chelou" ou de "JPP". Un faux procès pour Cyril Trimaille. "La langue française s’enrichit de tous les nouveaux usages." Et on pourra toujours rappeler que certaines expressions sont officiellement rentrées dans le dictionnaire, comme "bader" (éprouver de la tristesse) , ou "ghoster", soit rompre brutalement avec quelqu’un. 

La  langue n’est pas non plus l’écrit. "Le fait que les jeunes utilisent ce genre de mots n’a rien à voir avec le fait d’avoir moins de vocabulaire. Ni d’avoir de moins bons résultats scolaires", affirme le sociolinguiste, qui poursuit : "Les mots, les expressions, la prononciation des jeunes font changer la langue et on ne peut rien contre." Alors, plutôt que d’opposer les deux langages, ce pourrait être l’occasion de "mieux comprendre ces créations, ces évolutions et s’appuyer dessus pour que les ados connaissent d’autant mieux la langue classique". Et "se ramiter sans avoir le seum"… entre générations ! 

 

 


Pour aller plus loin :

- "Sociolinguistique des pratiques langagières de jeunes - Faire genre, faire style, faire groupe autour de la méditerranée", sous la direction de Cyril Trimaille, Christophe Pereira,  Karima Ziamari,  Médéric Gasquet-Cyrus, Grenoble, UGA Éditions, coll. "Langues, gestes, paroles", 2020, 218 p.

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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